
Darby, histoire et origines
- La Parole De Dieu
- 2 avr. 2023
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Dernière mise à jour : 2 avr. 2023
CHAPITRE 1 INTRODUCTION
John Nelson Darby est né le 18 novembre 1800 à Westminster. L un de ses biographes écrit : «Ce mercredi matin, M me Darby, demeurant sur la rue Great George à Westminster, a donné naissance à un garçon.» Tel était le bref avis, publié en bas à droite d une page dans le London Times, en novembre 1800. Né le 18 novembre 1800, John Nelson Darby est le sixième garçon et le huitième enfant de M me Darby 1. Plus tard, Darby entreprend des études au Trinity College de Dublin, et il est reçu au Barreau d Irlande en 1822. Sa carrière en droit est toutefois de courte durée. Une note manuscrite, dans la marge de son Nouveau Testament grec en quatre volumes, indique, à côté de 2 Timothée 3, qu il s est converti aux alentours 1. Max S. Weremchuk, John Nelson Darby, Neptune, N. J., Loizeaux Brothers, 1992, p. 19. Max Weremchuk apportera plus tard la correction suivante au sujet de cette déclaration : «Nous trouvons ici l une des nombreuses divergences qui surgissent dans la vie de John Nelson Darby : le 18 novembre 1800 était un mardi, pas un mercredi»>. Cette mise au point démontre bien la difficulté que l on rencontre de nos jours pour obtenir des informations précises sur Darby. 15
16 La Bible Darby et son histoire de 1820 ou 1821 2. C est probablement en 1824 qu il renonce à sa carrière d avocat et est ordonné diacre dans l Église anglicane. Ce changement de carrière amène son père à le déshériter. Cependant, alors que son père est sur son lit de mort, tous deux se réconcilient 3. En 1826 ou 1827, Darby est grièvement blessé lors d une chute de cheval au cours de laquelle il heurte violemment le montant d une porte : «Pendant sa convalescence, il se met sérieusement à l étude et à la méditation de la Parole de Dieu 4.» Darby devient alors un érudit extrêmement doué. William Kelly a écrit à son sujet : En fait, c est un étudiant assidu, doté d un esprit analytique et critique, non seulement envers les textes originaux hébreux et grecs, mais aussi envers les anciennes versions et tout document valable portant sur la révélation ; il est également versé dans l histoire de l Église 5. C est précisément à ce moment-là que Darby découvre l importance de certaines doctrines spécifiques de la Bible. Parmi celles-ci, se trouve la doctrine de l Église, affirmant que le Corps spirituel de Christ se compose de tous les croyants individuels. Il en tire la conclusion que l Église doit être séparée de l État, ce qui l amène à quitter l Église d Irlande. De l aveu de Darby, le Saint-Esprit était au même moment à l œuvre chez d autres croyants : Quatre hommes 6 qui se trouvaient dans le même état d esprit que moi sont venus chez moi. Nous avons discuté de ces sujets et je leur 2. Voir Weremchuk, John Nelson Darby, p. 204. 3. Ibid., p. 38. 4. Sunny Ezhumattoor, John Nelson Darby, Dallas, Tex., 2005, (page consultée le 17 décembre 2011). 5. Weremchuk, John Nelson Darby, p. 204. 6. Edward Cronin, Francis Hutchinson, John Gifford Bellett et un certain M. [Henry?] Brooke.
Introduction 17 ai proposé de prendre ensemble le repas du Seigneur le dimanche suivant, ce que nous avons fait 7. Le mouvement des Frères venait de naître. Darby est devenu par la suite un écrivain très prolifique. L ensemble de son œuvre est abondant et couvre des sujets comme la prophétie, l apologétique, l évangélisation, l ecclésiologie, la vie chrétienne en action, la doctrine et la critique 8. En outre, il a à son actif plus de mille lettres personnelles et publiques, et des centaines de «notes et remarques» de toutes sortes. Darby montre aussi un grand intérêt pour la traduction de la Bible. En effet, il l a personnellement traduite en allemand, en français et en anglais. Marion Field, l une des biographes de Darby, mentionne que l épitaphe de ce dernier se lit comme suit : «John Nelson Darby, à la fois inconnu et bien connu 9.» Cela s applique admirablement à son travail de traduction. Pour certains aujourd hui, Darby n est que le fondateur d un mouvement connu sous le nom des Frères de Plymouth, une personne dont le nom n évoque que sévérité, division, séparation et dissidence. Malheureusement, l idée qu on s en fait ne rend pas justice à l homme qu il était ; on oublie son énorme contribution aux domaines de la traduction et de l étude biblique. C est pourquoi cet ouvrage cherche à établir quels sont les faits historiques entourant son travail de traduction, ainsi que les buts et les principes qui le sous-tendent. 7. Weremchuk, John Nelson Darby, p. 71. 8. Son ami de longue date, William Kelly, a réuni tous les écrits de Darby pour en constituer une collection impressionnante de 47 volumes. 9. Marion Field, John Nelson Darby: Prophetic Pioneer [John Nelson Darby : pionnier prophétique], trad. libre, Godalming, Royaume-Uni, Highland Books, 2008, p. 209.
CHAPITRE 2 L HISTORIQUE DU TRAVAIL DE TRADUCTION DE DARBY 2.1 Introduction Arnold D. Ehlert, éditeur d un magazine biblique, écrit : Je doute qu il existe un autre homme dont le nom puisse être rattaché au domaine de la traduction de la Bible (en trois langues) et du Nouveau Testament (en deux autres langues), et dont les versions soient encore aujourd hui publiées! Selon moi, à part John Nelson Darby, il n y en a pas d autre 1. Depuis plus de cent soixante ans déjà, le nom de John Nelson Darby est associé au travail de traduction de la Bible, bien qu il ait lui-même toujours refusé d y apposer son nom. Sa première édition du Nouveau Testament en allemand remonte à avril 1855. Plus précisément, nous devons encore remonter d une quinzaine 1. Arnold D. Ehlert, The Bible Collector [Le collectionneur de Bible], trad. libre, El Cajon, Calif., The International Society of Bible Collectors, 1967, vol. 10, p. 3. 19
20 La Bible Darby et son histoire d années (entre 1837 et 1845) pour marquer le début de son intérêt pour la traduction de la Bible. Ceci peut être établi à partir d une note manuscrite servant de plan de travail pour une édition du Nouveau Testament. En effet, son nom est inscrit à côté du livre de l Apocalypse 2. Cette note contient deux éléments importants qui nécessitent des précisions. Le premier élément souligne le fait que le nom de Newton y apparaît à deux reprises : d abord près de l épître aux Romains, puis à côté du livre de l Apocalypse avec celui de Darby. Benjamin Wills Newton était, avec Darby, l un des premiers leaders du mouvement des Frères de Plymouth. Cependant, leur association cessa vers le milieu des années 1840, en particulier à cause de divergences doctrinales 3. Le second élément concerne les mots Writer in the Witness (Auteur dans le Témoin), écrits à côté de l épître aux Corinthiens. Ils pourraient bien se rapporter à un article publié en 1837 dans le volume 4 de la série The Christian Witness 4. Ainsi, à partir de ces deux éléments, il semble raisonnable de supposer que ce plan de travail ait été écrit entre 2. Cette note est tirée de Papers of John Nelson Darby Collection [La collection des articles de John Nelson Darby], trad. libre, qui se trouve aux Archives sur le mouvement des Frères à l Université de Manchester (The Christian Brethren Archives at the University of Manchester) au Royaume-Uni. 3. Gustav Ischebeck écrit : En 1842, Newton avait fait un commentaire sur l Apocalypse que Darby avait âprement critiqué, depuis la Suisse. Tous deux étaient des futuristes, c est-à-dire qu à leur avis les parties principales de l Apocalypse ont trait à l avenir et concernent les temps de la fin. Tous deux affirmaient qu une grande tribulation, sans précédent, surviendrait immédiatement avant la manifestation en gloire du Fils de l homme. Mais tandis que l opinion de Newton était que les croyants seraient sur la terre pendant la tribulation, Darby enseignait que les croyants seraient enlevés, sans qu on s en aperçut, peu de temps avant le déchaînement de la tribulation (Gustav Ischebeck, John Nelson Darby, son temps et son œuvre, Lausanne, Suisse, Éditions Vie & Liberté, 1937, p. 74). 4. The Christian Witness [Le témoin chrétien], trad. libre, est l un des premiers magazines des Frères, édité de 1834 à 1841, < L article en question est intitulé Some considerations on the two epistles to the Corinthians [Quelques pensées sur les deux épîtres aux Corinthiens], trad. libre.
L historique du travail de traduction de Darby 21 1837 et 1845. Cela démontre clairement que Darby avait à cette époque un intérêt pour la traduction de la Bible. En 1844-1845, Darby connaissait déjà plusieurs versions de la Bible traduites en différentes langues et utilisées à son époque. Critiquant un commentaire fait par Newton dans un article sur l Apocalypse, Darby déclare qu il n est en aucune manière soutenu par les traductions anglaise, allemande ou française 5. Soit dit en passant, Darby traduira plus tard la Bible en ces trois langues. Il semble bien que sa connaissance de la langue française lui ait permis alors de faire la critique de la première édition française (1839) du Nouveau Testament de Lausanne. Par exemple, il dit au sujet de Romains 8.33,34 : «Je ferai remarquer que, dans son ensemble, la traduction de Lausanne est fidèle au texte grec de l épître, quoiqu elle ait abîmé ces versets par une expression maladroite 6.» Toutefois, cela n empêchera pas Darby de collaborer à la deuxième version de Lausanne, qui a nécessité onze sessions de travail, échelonnées du 19 août 1845 au 22 mars 1847 7. Il est intéressant de noter, qu entre le 1 er novembre 1845 et le 9 décembre 1846, Darby a écrit quatre lettres à un certain «B. R.» au sujet de son travail dans le projet de la traduction de Lausanne 8. Dans l une de ses lettres, Darby confirme l affirmation 5. John Nelson Darby, «Thoughts on the Apocalypse» [Pensées sur l Apocalypse], dans The Collected Writings of John Nelson Darby [La collection des écrits de John Nelson Darby], trad. libre, William Kelly, éd., Jackson, N. J., Present Truth Publishers, édition électronique, vol. 8, p. 6. 6. Ibid., vol. 24, p. 76. 7. Louis Burnier, La Version du Nouveau Testament dite de Lausanne, son histoire et ses critiques, Lausanne, Suisse, Georges Bridel Éditeur, 1866, p. 37. 8. Le Messager Évangélique, Chailly-Montreux, Suisse, Éditions Bibles et Littérature Chrétienne, 1896, p. 297-299, 335, 355-357, 399-400. Les initiales «B. R.» pourraient être celles de Benjamin Rossier (1803-1885). Dans son livre portant sur l histoire de la version de Lausanne, Louis Burnier écrit : Plusieurs amis de notre œuvre [ ] prirent la peine de nous envoyer bon nombre de notes critiques. Ce furent MM. Demole, Durand, Dumont, Berthoud [peut-être s agit-il de Pierre Schlumberger, dont l épouse avait pour nom de famille Berthoud], Faure, Benjamin Rossier, Darby [ ] ces notes avaient été provoquées par un avis qui
22 La Bible Darby et son histoire de Burnier selon laquelle il était l un de ceux qui avaient envoyé des notes critiques au comité de révision 9. Or, Darby a souvent évoqué dans ses lettres ses nombreux voyages en Irlande et en France, ses problèmes de santé «et autres choses du même genre» pour expliquer son indisponibilité pour accomplir le travail de traduction 10. Il a aussi dit à deux reprises qu il avait dû travailler loin de chez lui sans ses livres d étude et de références 11. Ces circonstances de sa vie l ont amené à penser, qu à partir d août 1846, il avait pris du retard dans son travail et négligé ses responsabilités envers le comité de traduction. Par ailleurs, le «système» adopté par le comité de traduction commençait aussi à lui peser et à semer le doute dans son esprit sur l utilité de ses propres notes 12. En effet, dès le début de sa collaboration avec le comité de la version de Lausanne, Darby a l impression d être «sous-employé» et de devoir se soumettre aux autres dans tous les aspects de son travail. Pourtant, le désir profond de Darby était simplement de faire une œuvre utile en donnant à l Église francophone une version précise et attendue de la Bible. Finalement, il a montré combien il était important de parut dans le journal La Réformation au xix e siècle (Burnier, La Version du Nouveau Testament dite de Lausanne, p. 37). Rossier et Darby étaient clairement impliqués dans le processus de traduction de la version de Lausanne. En outre, l éditeur du Messager Évangélique, en 1896, l année de la publication des quatre lettres mentionnées plus haut, était Henri Rossier, le quatrième fils de Benjamin Rossier. Dans deux des quatre lettres, Henri Rossier avait ajouté une note soulignant que Darby se référait à la version de Lausanne. Il n est donc pas irréaliste de penser qu Henri Rossier tenait ses renseignements de son père. L ensemble des données recueillies permet donc d affirmer que les initiales «B. R.» sont probablement celles de Benjamin Rossier. 9. Le Messager Évangélique, 1896, p. 355. Darby a dit qu il s était servi de «livres» pour rédiger ses notes. Nous pouvons supposer que ces dernières s appuyaient sur le texte grec du Nouveau Testament. 10. Ibid., p. 399. 11. Ibid., p. 297, 400. 12. Pour le récit complet du travail de traduction de la version de Lausanne, voir Burnier, La Version du Nouveau Testament dite de Lausanne, op. cit.
L historique du travail de traduction de Darby 23 s engager sérieusement et intensément dans le travail de traduction. Il a donc hésité avant d envoyer ses notes au comité, parce qu il n était pas en mesure de consacrer tout le temps et l effort nécessaires pour accomplir son travail. Il est clair que Darby considérait déjà le travail de traduction comme quelque chose d extrêmement important ; une noble tâche! Selon Louis Burnier, c est grâce à l expérience acquise lors de la traduction de la version de Lausanne que Darby a pu mettre en œuvre par la suite ses propres traductions. Il écrit : La nouvelle version de Lausanne, déjà un peu vieille, a vu naître quatre traductions et trois livraisons d une cinquième : celle de M. Matter, ou plutôt de la Société anglicane pour la propagation de la foi (en 1842), de M. Arnaud (1858), de M. Darby (1859), de M. Rilliet (1860), et de M. Et. Coquerel (1864 et 1865). Tous, ou du moins les quatre derniers, ont pu s approprier notre travail selon leurs convenances, comme nous ne manquerions pas de profiter du leur dans une édition postérieure 13. De toute évidence, Darby a tiré profit de l expérience acquise durant la révision de la deuxième édition de la version de Lausanne, publiée en 1849. Cette collaboration a indéniablement ouvert la porte à son service dans ce domaine, un travail qui s est échelonné sur plus de trente-cinq ans, soit de 1845 à 1882, l année de sa mort. Ainsi, Darby a passé une grande partie de la seconde moitié de sa vie à travailler sur la traduction de la Bible ; un travail auquel il a consacré beaucoup de temps et d efforts. Dans une lettre datée du 21 octobre, écrite de Ventnor, six mois avant sa mort, Darby dit à P. Gibbs 14 : 13. Ibid., p. 128. 14. Presque tous les destinataires des lettres de Darby ont été identifiés à l aide du livre de L. J. L. Hodgett, The correspondents of John Nelson Darby, with a geographical index and a chart of his travels through his life [Les correspondants de John Nelson Darby, incluant un index géographique et un tableau de ses voyages durant sa vie], trad. libre, Ramsgate, Royaume-Uni, L. J. L. Hodgett, 1995.
24 La Bible Darby et son histoire Le temps est venu de vous écrire. Et si je ne l ai pas fait avant, ce n est pas parce que le désir me manquait. J étais tellement fatigué que toute l énergie dont je disposais a été utilisée au travail laborieux de traduction de la version française de l Ancien Testament et de celle du Nouveau Testament en anglais 15. Puis, deux mois plus tard, le 15 décembre, il écrit à Pierre Schlumberger (un collaborateur de longue date dans la traduction de la version française) pour lui dire qu il continuerait de travailler sur la préface et les notes de la traduction française 16. Darby avait 81 ans. Quand on considère que Darby a consacré au moins trentecinq ans de sa vie à la traduction de la Bible, on s étonne qu aucun livre n ait été écrit jusqu à ce jour pour étudier cet aspect de son service. Bien que plusieurs livres et articles abordent le rôle catalyseur de Darby dans les problèmes et les controverses entourant les divisions chez les Frères, aucun ne relate en profondeur son travail de traduction. En effet, dans les quelques biographies qui ont été publiées jusqu à ce jour, peu de pages sont consacrées à ce travail de traduction, qui a pourtant occupé presque la moitié de sa vie 17. L extrême rareté des ouvrages décrivant le travail de traduction de Darby rend la collection de données particulièrement difficile sur des sujets comme les faits historiques, les buts et les principes, 15. John Nelson Darby, Letters of J. N. D. [Lettres de J. N. D.], trad. libre, Kingstonon-Thames, Royaume-Uni, Stow Hill Bible Tract and Depot, 1970, vol. 3, p. 188. 16. Le Messager Évangélique, 1903, p. 317. 17. Marion Field (John Nelson Darby: Prophetic Pioneer) consacre l intégralité du chapitre 9 de son livre aux écrits de Darby, dont dix pages couvrent les écrits généraux et cinq le travail de traduction. En plus d un court paragraphe aux pages 91-92, W. G. Turner (Unknown and Well Known: A Biography of John Nelson Darby [Inconnu et bien connu : une biographie de John Nelson Darby], trad. libre, Londres, Royaume-Uni, Chapter Two, 2006) propose un appendice (qui est en fait la préface de Darby à sa version anglaise) de dix pages sur le travail de traduction de Darby. Weremchuk (John Nelson Darby), quant à lui, discute brièvement du travail de traduction de Darby (deux pages et demie).
L historique du travail de traduction de Darby 25 et ce quelle que soit la langue utilisée, c est-à-dire celle des versions en allemand, en français et en anglais 18. Un auteur propose cependant une explication pour ce manque apparent de preuves : Deux raisons expliquent l extrême rareté de documentation pour tout ce qui concerne le début du mouvement des Frères : ils croyaient à l imminence de la seconde venue de Christ et ils rejetaient toute forme d organisation ecclésiastique. Si la fin du monde devait arriver d un moment à l autre, alors pourquoi s appliquer à mettre tout par écrit puisque, de toute manière, tout serait bientôt détruit? Ne valait-il pas mieux employer cette «période de grâce» pour prêcher l Évangile et se préparer à l enlèvement de l Église? La valeur des écrits lettres, documents, comptes rendus de réunions ne devrait être jugée qu en vertu de leur utilité spirituelle et pastorale 19. Cette explication lève quelque peu le voile sur le fait que très peu de documents existent également sur le travail de traduction de Darby. En effet, il n a jamais écrit au sujet de son ministère, pourtant si important. De plus, la plupart des livres et des articles qu ils soient en français ou en anglais qui traitent de l histoire de la Bible n accordent que peu de place à la version de Darby par rapport aux autres versions. Par exemple, l édition française de la Bible Thompson contient une brève description 18. Les sources littéraires en italien, néerlandais ou suédois sont encore plus rares, quoique Darby ait aussi travaillé dans ces langues. Un commentateur écrit : «Il est intéressant de constater que le nom de J. N. Darby ne soit pas mentionné dans l index de l ancien British Museum avant le début du siècle, bien qu il ait, avant son décès en 1882, plusieurs traductions à son compte, comme : l Ancien et le Nouveau Testament, ainsi que toute la Bible en anglais ; toute la Bible en allemand et en français, et le Nouveau Testament en italien. [ ] Cette omission vient du fait que son nom n apparaissait pas dans la plupart de ces premières versions, bien qu on le retrouve dans sa version de la Bible en français de 1885. [ ] L expression New Translation est ce qui permet d identifier l auteur de ces traductions» (Ehlert, The Bible Collector, vol. 3, p. 6). 19. Peter L. Embley, The Origins and Early Development of the Plymouth Brethren [L origine et les premiers développements des Frères de Plymouth], trad. libre, 2003, p. 5-6
26 La Bible Darby et son histoire de l histoire de la Bible en France 20. Elle consacre environ vingt lignes à la Bible d Olivétan et seulement quatre à la version française de la Bible Darby. Cela n est qu un des nombreux exemples illustrant ce fait. Par conséquent, des centaines de documents ont été consultés dans différents pays (Canada, États-Unis, France, Belgique, Suisse, Allemagne, Angleterre, Irlande et Pays-Bas) afin de recueillir une quantité suffisante de données de toutes sortes liées au travail de traduction de Darby. Cela a permis à l auteur d établir la chronologie de l histoire de la traduction, et d identifier le but et les principes qui ont dirigé Darby dans son travail. On retrouvera dans la bibliographie tous les documents consultés pour cet ouvrage. Au moins sept sources principales se sont avérées indispensables à sa réalisation : la série Le Messager Évangélique ; l abondante correspondance de John Nelson Darby en trois volumes en anglais ; les préfaces aux différentes traductions de Darby en allemand, français et anglais ; les ouvrages Bible notes from the 1871 edition of the New Testament 21 et Dates of J. N. Darby s Collected Writings 22 ; les trois principales biographies de Darby (par Turner, Weremchuck et Field) ; et l imposante collection Darby s Collected Writings 23. Une remarque importante s impose ici au sujet de sa correspondance (ses lettres). Deux facteurs ont joué lorsqu on a voulu établir avec certitude à quel travail de traduction Darby se référait dans ses écrits, en particulier dans ses lettres. Le premier est qu il 20. Frank C. Thompson, La Bible Thompson avec chaîne de références, Miami, Flor., Éditions Vida, 1990, p. 1650. 21. Bible notes from the 1871 edition of the New Testament, English New Translation by J. N. Darby, annotated by the translator [Notes bibliques de l édition de 1871 du Nouveau Testament, nouvelle traduction en anglais par J. N. Darby, annotée par le traducteur], trad. libre, Chessington, Royaume-Uni, Bible and Gospel Trust, 2013. 22. Dates of J. N. Darby s Collected Writings [Dates de la collection des écrits de J. N. Darby], trad. libre, Chessington, Royaume-Uni, Bible and Gospel Trust, 2013. 23. Kelly, The Collected Writings of John Nelson Darby, Present Truth Publishers, édition électronique.
L historique du travail de traduction de Darby 27 ne mentionnait pas toujours la langue de la version sur laquelle il travaillait. Le second facteur se rapporte au fait que Darby traduisait d autres documents que la Bible, comme on peut le constater avec sa série Les Études sur la Parole (un résumé des livres de la Bible) en allemand 24 ou en anglais. Par conséquent, il est parfois impossible, à partir de certains de ses écrits en français ou en anglais, de déterminer de quel travail de traduction il parlait. Sur une période de trente-sept ans (de 1845 à 1882, année de son décès), Darby a fait en allemand deux éditions du Nouveau Testament et une de l Ancien Testament. Il a aussi fait en français quatre éditions du Nouveau Testament, et a achevé deux ans avant sa mort celle de l Ancien Testament, dont le travail de révision ne fut complété qu en 1885. En anglais, Darby a produit deux éditions du Nouveau Testament et travaillait sur une troisième au moment de son décès ; quant à l édition de l Ancien Testament, elle ne fut achevée qu après celle des versions allemande et française, puis publiée en 1890 25. Enfin, l un des biographes de Darby soutient qu il est le principal architecte de la version néerlandaise de 1877 26 et que des versions posthumes du Nouveau Testament en italien et en suédois furent produites plus tard, s inspirant des traductions personnelles de Darby 27. Il semble bien que Darby ait entrepris cette tâche colossale que représente son ministère de traduction parce qu il n était pas 24. Dans une lettre envoyée à Pierre Schlumberger, le 26 octobre 1857, d Elberfeld, Darby écrit : «Il faut que je revoie la traduction allemande des Études sur le Nouveau Testament» (Le Messager Évangélique, 1899, p. 417). 25. Avant de mourir, Darby a été capable de réviser les cinq premiers livres, c est-àdire le Pentateuque (John Nelson Darby, The Holy Scriptures : A new translation from the original languages, 1890 Edition [Les Saintes Écritures : une nouvelle traduction à partir des langues originales, édition de 1890], trad. libre, Lancing, Royaume-Uni, Kingston Bible Trust, 1984, p. v). 26. Hermann C. Voorhoeve, De Boeken, genaamd Het Nieuwe Testament. Nieuwe Vertaling [Les livres, appelés le Nouveau Testament, nouvelle version], trad. libre, S. Gravenhage, H. C. Voorhoeve, Jzn, 1877. 27. Turner, Unknown and Well Known, p. 91-92.
28 La Bible Darby et son histoire satisfait des différentes versions bibliques de son époque. C est pourquoi nous présenterons d abord les raisons de son insatisfaction, puis les principaux collaborateurs de Darby dans la traduction, et enfin l historique de chacune des différentes traductions en allemand, français, anglais, néerlandais, italien et suédois. 2.2 L insatisfaction de Darby concernant les traductions bibliques de son époque G. W. Turner, l un des biographes de Darby, rapporte «qu en raison de son insatisfaction au sujet des différentes versions bibliques existantes en français et en allemand, Darby décida de travailler à de nouvelles traductions dans ces deux langues avec des collaborateurs allemands et français 28». 2.2.1 L insatisfaction de Darby concernant les traductions allemandes Dans un petit ouvrage écrit en 1859, Darby fournit quelques raisons expliquant son mécontentement à l égard des traductions bibliques allemandes. Au sujet de la traduction du Nouveau Testament de Bengel 29, il écrit dans une note que cette traduction soigneusement exécutée n était utilisée par personne. Puis il ajoute : «La traduction allemande de Piscator 30, issue de la 28. Ibid., p. 143. 29. Allusion possible à John A. Bengel, Gnomon of the New Testament, Edinburgh, T&T Clark, 1858, ou encore à l édition originale de 1742. 30. Apparemment, Darby se référait à la traduction allemande de Johannes Piscator (1546-1625). Le catalogue de la bibliothèque de Darby, qui fut dressé après son décès, contient l ouvrage suivant : Johannes Piscator, Biblia, das ist alle Bücher Alten und Newen Testaments [La Bible, qui sont tous les livres de l Ancien et du Nouveau Testament], trad. libre, 7 vol., Bern, Suisse, In Hoch-Oberkeitlicher Truckerey, 1684 (Sotheby, Wilkinson & Hodge, Catalogue of the Library of the Late John Nelson Darby [Le catalogue de la bibliothèque de feu John Nelson Darby], trad. libre, Londres, Royaume-Uni, J. Davy & Sons, édition électronique, Archives sur le mouvement des Frères à l Université de Manchester, 1889, p. 10).
L historique du travail de traduction de Darby 29 Réforme, est très bonne. Mais hélas, elle a cédé la place et ce, même dans les Églises réformées au profit de la traduction de Luther, qui est à mon avis, la pire que je connaisse 31.» Darby était manifestement un critique sévère de la traduction allemande de Luther. En effet, dans la seconde édition de sa version anglaise du Nouveau Testament, il écrit que le travail de traduction de Luther était à ses yeux ce qu il y avait «de plus inexact 32». Puis, dans une lettre datée d avril 1855 et écrite d Elberfeld à son ami de longue date et collaborateur, Pierre Schlumberger, Darby qualifie «d affreuse» la version de Luther 33. Dans une autre lettre, écrite le 4 avril 1855 à Schlumberger (elle aussi écrite d Elberfeld), il dit : On dit qu il y a une toute nouvelle traduction de toute la Bible, un Luther corrigé. Je le crois incorrigible ; il est bien tombé dans mon estime depuis une année. J apprécie sa foi, son énergie, la force avec laquelle il se confiait en Dieu pour son œuvre, je le reconnais de tout mon cœur comme un merveilleux instrument de Dieu sous ce rapport. Mais il était plein de lui-même à un point qui est humiliant pour le cœur, et pénible à lire. Dans sa traduction, il a traité la Parole avec une légèreté qui excite souvent mon indignation 34. Malheureusement, Darby n a jamais donné de raison précise pour expliquer son attitude extrêmement critique vis-à-vis de la traduction de Luther. Ses commentaires sont habituellement d ordre général, sans qu il ne soulève de point précis. Par exemple, dans une lettre datée du 25 janvier 1855, écrite d Elberfeld et adressée à G. V. Wigram, Darby écrit : «C est difficile de citer Luther car de toute manière, on ne peut se fier à lui pour espérer 31. John Nelson Darby, «The House of God; the Body of Christ; and the Baptism of the Holy Ghost» [La maison de Dieu ; le corps de Christ ; et le baptême du Saint-Esprit], trad. libre, dans The Collected Writings of John Nelson Darby, vol. 14, p. 16. 32. Bible notes from the 1871 edition of the New Testament, p. 408. 33. Le Messager Évangélique, 1899, p. 120. 34. Ibid., p. 156-158.
30 La Bible Darby et son histoire démontrer une vérité biblique 35.» Il est utile de mentionner ici que Darby a toutefois reconnu s être servi de la traduction de Luther pour son propre travail sur la version allemande 36, peutêtre à titre de comparaison. Selon l opinion de Darby, exprimée dans le petit ouvrage cité précédemment, toutes les autres traductions en allemand étaient bonnes, même si certaines étaient inutilisées alors que d autres laissaient largement à désirer, comme celle de [W. M. L.?] de Wette 37. Le mécontentement exprimé par Darby envers les traductions allemandes de l époque était dû en partie à l absence de version dans la langue du peuple. La traduction de Luther était populaire mais, au dire de Darby, présentait aussi des erreurs importantes. 2.2.2 L insatisfaction de Darby concernant les traductions françaises Lorsque venait le temps d évaluer les différentes traductions de la Bible en français, Darby ne mâchait pas ses mots! Dans le petit ouvrage cité précédemment 38, il écrit : Les traductions de la Bible en français sont médiocres. Celle de Diodati est la plus exacte, quoique désuète et pleine de fautes de français. Toutefois, le cœur du problème réside dans le fait que la langue française est singulièrement inadéquate pour traduire l Écriture. Elle est sans aucun doute exacte, mais elle demeure néanmoins limitée dans l expression des subtilités que tente de communiquer l esprit humain (c.-à-d., celui du traducteur devant 35. Darby, Letters of J. N. D., vol. 1, p. 240. 36. Kelly, The Collected Writings of John Nelson Darby, vol. 13, p. 169. 37. Le Messager Évangélique, 1899, p. 120. Darby ne précise pas l ouvrage auquel il se réfère par ce nom. Cependant, le catalogue de sa bibliothèque contient l ouvrage suivant : W. M. L. de Wette, Handbuch zum Neuen-Testament [Manuel du Nouveau Testament], trad. libre, 3 vol., Leipzig, Deutschland, S. Hirzel, 1857 (Sotheby, et al., Catalogue of the Library of the Late John Nelson Darby, p. 6). 38. Darby, «The House of God; the Body of Christ; and the Baptism of the Holy Ghost», dans The Collected Writings of John Nelson Darby, vol. 14, p. 16.
L historique du travail de traduction de Darby 31 la richesse du texte biblique dans la langue originale). La traduction de Diodati est donc de façon générale assez fidèle aux textes originaux mais la lecture de cette version en français constitue une activité excessivement pénible 39! La virulence des expressions utilisées par Darby dans cet article («médiocres» et «singulièrement inadéquate») démontre bien qu il n avait pas en haute estime les versions françaises de la Bible, voire la langue elle-même. Pourtant, quatre années avant la publication du petit ouvrage cité ici, Darby écrivait dans une lettre datée de janvier 1855, adressée à Pierre Schlumberger et postée d Elberfeld : «Bien que la version française ne soit pas aussi nécessaire que la version allemande, ce serait quand même intéressant d en posséder une dans cette langue 40.» Cela montre clairement que Darby avait pris le temps de lire et d évaluer les traductions de la Bible en français afin de s en faire une opinion, qui devait, à partir de ce moment, radicalement évoluer dans une autre direction jusqu en 1859. Cependant, déjà en 1846, alors qu il se trouvait en Angleterre, Darby avait émis des commentaires similaires dans une lettre écrite le 23 septembre à Benjamin Rossier. Commentant la version française de la traduction de Lausanne, il avait écrit : «Il y a des difficultés particulières résultant de ce que le génie de la langue française ne répond pas à bien des abstractions grecques 41.» Huit ans plus tard, soit en 1854, alors qu il travaillait sur la traduction de sa version allemande, Darby écrit que, au cours des dernières années, «il s était longuement entraîné 42», tant en anglais qu en 39. Ibid., p. 16-17. 40. Le Messager Évangélique, 1899, p. 76. 41. Ibid., 1896, p. 395-396. Alors qu il travaillait sur la première édition de la version Darby du Nouveau Testament en français, Pierre Schlumberger, un collaborateur de Darby en France, lui dit que la langue française était incapable de rendre certaines idées abstraites du grec. Darby répondit qu il ne pouvait croire une telle affirmation (voir Le Messager Évangélique, 1900, p. 96-97). 42. Pour son travail de traduction.
32 La Bible Darby et son histoire français 43. Apparemment, Darby avait acquis au fil du temps une bonne connaissance de la langue française. Cela ne l a toutefois pas empêché d écrire d Angleterre, à la fin de l année 1857, à Pierre Schlumberger, au moment où il était en train de traduire le Nouveau Testament en français : En traduisant le Nouveau Testament en français, je ne puis naturellement prétendre à la correction du style, la langue n étant pas ma langue maternelle, mais il y a d autres cas où l on veut changer ce qui est dit pour l adapter au français. Là je suis inexorable. Je fais ce travail seulement, cela est évident, pour que les frères possèdent (et d autres, s ils le veulent) ce qui est dit, ce qu ils n ont pas dans les autres traductions. Si la version de Lausanne avait donné la vraie force du Nouveau Testament, il est de toute évidence que ce n aurait pas été mon affaire de corriger le style, même si je le trouvais très laid 44. Bien que Darby ait acquis une bonne connaissance de la langue française et de ses expressions idiomatiques, il reconnaît néanmoins ses limites et son besoin récurrent de s appuyer sur d autres pour son travail de traduction. Darby mentionne trois versions françaises du Nouveau Testament dans la préface de sa deuxième édition du Nouveau Testament en anglais : Martin 45, Ostervald 46 et Arnaud 47. Il écrit que les deux premières ne sont «pas fiables», alors que celle 43. Darby, Letters of J. N. D., vol. 3, p. 291. 44. Le Messager Évangélique, 1899, p. 418-419. 45. Allusion possible à David Martin, La Sainte Bible qui contient le Vieux et le Nouveau Testament, Bruxelles, Belgique, Société biblique britannique et étrangère, 1847. 46. Allusion possible à J. F. Ostervald, La Sainte Bible ou l Ancien et le Nouveau Testament, Strasbourg, France, Société biblique britannique et étrangère, 1863. 47. Allusion probable à E. Arnaud, Le Nouveau Testament de notre Seigneur Jésus-Christ ou les livres sacrés de la nouvelle alliance, version nouvelle, Paris, France, Grassart, Librairie-Éditeur, 1858.
L historique du travail de traduction de Darby 33 d Arnaud n est absolument «pas digne de confiance» 48. Encore une fois, Darby ne fournit pas d explication précise à ses affirmations 49. Toutefois, il est raisonnable de supposer que l opinion qu il avait du Texte Reçu 50, qu il jugeait inférieur, inexact et corrompu, soit à l origine de ses commentaires sur les versions de Martin et d Ostervald, puisque leurs traductions se basaient sur ce texte grec 51. Deux points résument le mécontentement de Darby au sujet des différentes traductions en français : l infériorité des textes sources et le manque de précision des traductions. 2.2.3 L insatisfaction de Darby concernant les traductions anglaises Darby avait toutefois une appréciation très différente des traductions anglaises de la Bible disponibles à son époque. Nous savons que, lorsqu il a entrepris de traduire la Bible en allemand, il a utilisé comme référence une très bonne version anglaise, sans pour autant la nommer 52. Puis, dans la préface de sa version allemande 48. Bible notes from the 1871 edition of the New Testament, p. 408. Daniel Lortsch écrit que le Nouveau Testament d Arnaud, publié en 1858, contenait des expressions incorrectes et difficiles à comprendre (voir Daniel Lortsch, Histoire de la Bible en France, Paris, France, Agence de la Société biblique britannique et étrangère, 1910, p. 147). 49. Dans un article écrit à Genève en 1841, Darby critique Martin et Ostervald pour ne pas avoir traduit l expression grecque τὸ πλήρωμα τοῦ χρόνου [to plèrôma tou chronou] par «l accomplissement (ou : la plénitude) du temps» dans Galates 4.4. Le point central de sa critique ici est le niveau de littéralité (voir John Nelson Darby, «Some further developments on the principles set forth in the pamphlet, entitled On the formation of Churches and reply to some objections made to those principles» [Quelques pensées supplémentaires sur les principes développés dans la brochure intitulée À propos de la formation des Églises et une réplique à certaines objections présentées contre ces principes], trad. libre, dans The Collected Writings of John Nelson Darby, vol. 1, p. 170). 50. Le premier Nouveau Testament grec qui a été publié a été celui d Érasme, un érudit de Rotterdam, en 1516. Ce texte a par la suite subi plusieurs révisions. Dans celle de 1633, publiée par les imprimeurs hollandais Elzévirs, la préface contenait la prétention que le lecteur avait maintenant entre les mains le «texte qui est reçu par tous». De là vient l appellation «Texte Reçu» (Textus Receptus). 51. Pour connaître l opinion de Darby au sujet du Texte Reçu, voir le chapitre 5. 52. Darby, Letters of J. N. D., vol. 3, p. 292.
34 La Bible Darby et son histoire du Nouveau Testament, il répète avoir utilisé une «excellente» traduction anglaise, qu il ne nomme pas mais qu il qualifie de «très précise» 53. La version non-identifiée utilisée par Darby est probablement celle appelée Version autorisée 54, aussi connue sous le nom de version King James 55. À ce sujet, G. W. Turner écrit : «Darby ne considérait pas important d avoir une nouvelle traduction de la Bible en anglais puisqu en tout et partout, la version King James suffisait amplement, et il la recommandait vivement à tous ceux qui comme lui, recherchaient une version fidèle et précise 56.» Cependant, aux alentours de 1867, Darby est devenu plus critique à l égard de cette version. En effet, dans un article, il récuse le principe adopté par les traducteurs, qui consistait à utiliser plusieurs mots en anglais pour rendre le même mot grec. Il écrit : Le même mot grec, qui apparaît dans Jean 5.24 et qui est traduit en anglais par «condamnation», se retrouve aussi dans les versets 22, 27 et 29. Il faut savoir que le mot «condamnation» est un mot différent dans le grec. Et même si le résultat final est la condamnation, le choix de ce mot enlève néanmoins toute la force de ce passage. Dans la préface de la première édition, les traducteurs expliquent que si un mot grec revient plusieurs fois dans un passage, un mot différent en anglais est utilisé pour le traduire, chaque fois que cela est possible. Quoique nous ayons plusieurs raisons de nous réjouir de cette version en anglais, il n en demeure pas moins que le principe énoncé plus haut et utilisé par les traducteurs est totalement faux 57. 53. Kelly, The Collected Writings of John Nelson Darby, vol. 13, p. 169. 54. Appelée ainsi parce que cette traduction avait été autorisée par le roi Jacques 1 er d Angleterre en 1607 et publiée en 1611. 55. [La Bible du roi Jacques], trad. libre. 56. Turner, Unknown and Well Known, p. 143. 57. John Nelson Darby, «What do the Scriptures teach concerning judgment to come?» [Qu est-ce que les Écritures enseignent à propos du jugement à venir?], trad. libre, dans The Collected Writings of John Nelson Darby, vol. 10, p. 378.
L historique du travail de traduction de Darby 35 Dans la préface de la deuxième édition de sa version anglaise du Nouveau Testament, publiée en 1871, Darby dénonce une fois de plus ce principe, qu il décrit comme «une très grande et grave erreur» puisqu il «élimine le lien unifiant le texte» 58. En dépit de cela, il a toujours montré qu il appréciait cette traduction, comme en témoigne la citation suivante provenant de la même préface : Il y a des remarques que je désirerais faire au sujet de [la Version autorisée] en anglais, lesquelles m excluraient certainement de toutes tentatives d y apporter quelques corrections, ce qui serait en soit une tâche colossale. Sa valeur et sa beauté sont connues de tous. C est pourquoi je ne m étendrai pas là-dessus. Elle a été ma Bible de chevet et de référence, et bien qu ayant étudié moi-même le grec, je n ai aucun désir de la sous-estimer. Mais maintenant que tout a été minutieusement étudié, il faut noter certains points qui devraient conduire à la réalisation d une traduction plus exacte pour le lecteur anglophone 59. Une autre traduction de la Bible en anglais fut aussi l objet de critique de la part de Darby. Dans un article publié en 1871, il écrit : On ne peut pas compter sur la version d Alford 60. Elle s adresse uniquement à l étudiant qui possède le discernement, la connaissance et le jugement en la matière. Il était animé d un esprit vif pour soulever toutes sortes de questions, mais je n ai jamais considéré qu il était capable de les résoudre. Son jugement manquait de sérieux et de bon sens. Par conséquent, on ne peut lui faire confiance 61. 58. Bible notes from the 1871 edition of the New Testament, p. 409. 59. Ibid., p. 408-409. 60. Allusion probable à Henry Alford, The New Testament of our Lord and Saviour Jesus Christ after the Authorized Version [Le Nouveau Testament de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ après la Version autorisée], trad. libre, Londres, Royaume-Uni, Strahan & Co., Publishers, 1870. 61. John Nelson Darby, «Notes on the Readings on 1 Corinthians» [Notes concernant les lectures sur 1 Corinthiens], trad. libre, dans The Collected Writings of John Nelson Darby,
36 La Bible Darby et son histoire Cependant, l insatisfaction de Darby au sujet des versions anglaises s applique surtout à celle dite «Version autorisée». Deux raisons principales résument sa critique : les principes de traduction utilisés par les traducteurs, et le texte source qui est à la base de cette traduction, c est-à-dire le Texte Reçu, qui fut dénoncé avec vigueur par Darby 62. Enfin, certaines autres versions en anglais, comme celle d Alford citée plus haut, n étaient pas accessibles à tous. 2.2.4 Résumé Dans les sections précédentes (2.2.1 2.2.3), nous avons vu les raisons justifiant le mécontentement de Darby au sujet des différentes traductions de la Bible présentes à son époque. Ce sont elles qui l ont poussé à traduire la Bible en allemand, en français et en anglais. Mais avant de développer l historique de chacune de ces traductions (et de trois autres), nous allons d abord présenter un portrait de ses nombreux collaborateurs dans la traduction, car Darby n a pas travaillé seul. 2.3 Les collaborateurs de Darby pour la traduction Selon Marion Field 63, Darby connaissait huit langues : l allemand, le français, l italien, le maori (Nouvelle-Zélande), l hébreu, le grec, le latin et bien sûr l anglais. Nul doute que sa grande érudition faisait de lui quelqu un d extrêmement qualifié pour le travail de traduction de la Bible, d où le fait qu il ait personnellement travaillé sur des versions allemande, française et anglaise. Pourtant, il n a jamais effectué ce travail seul. Il s est entouré de croyants qualifiés qui l ont aidé à la traduction et à la révision des textes. G. W. Turner écrit : «Il a travaillé avec des collaborateurs vol. 26, p. 238. 62. Bible notes from the 1871 edition of the New Testament, p. 403. 63. Field, John Nelson Darby: Prophetic Pioneer, p. 168.
L historique du travail de traduction de Darby 37 allemands et français dans le but de produire de nouvelles versions dans ces deux langues 64.» En revanche, nous en savons peu sur eux, puisque leurs noms sont rarement mentionnés dans les écrits français et anglais de Darby. Au mieux, nous possédons, soit leurs initiales, soit la première lettre de leur nom. (S agit-il du prénom ou du nom de famille?) Par exemple, dans deux lettres consécutives écrites en janvier et en février 1858, Darby écrit : «À Monsieur P. S. Voilà, cher frère, les corrections d une feuille, plus les remarques de N. [ ] J ai B. avec moi. [ ] R. m a envoyé, le jour de mon départ, quelques remarques au sujet de notre traduction 65.» En quelques rares occasions, le nom complet est donné. C est le cas dans une lettre où W. J. Lowe écrit à Darby pour lui signaler quelques problèmes dans la traduction française 66. Les prochaines sections présenteront avec quelques preuves à l appui les principaux collaborateurs de Darby dans le travail de traduction de la Bible en allemand, français et anglais. 2.3.1 Les collaborateurs de Darby pour la version allemande Selon un livre allemand publié par la maison d édition R. Brockhaus et traduit par Reinhard J. Buss, «la traduction biblique connue sous le nom de version Elberfelder Bibel 67 représente la plus importante œuvre initiée par F. W. Brockhaus 68» 69. De son côté, Marion Field mentionne quelques-uns de ceux 64. Turner, Unknown and Well Known, p. 143. 65. Le Messager Évangélique, 1899, p. 420, 440. 66. W. J. Lowe, Letter to John Nelson Darby about the French translation [Lettre à John Nelson Darby à propos de la traduction française], trad. libre, Manchester, Royaume-Uni, Archives sur le mouvement des Frères à l Université de Manchester, 1874. 67. Tiré du nom de la ville (Elberfeld) où une grande partie du travail de traduction a été faite. 68. Seule référence connue en lien avec ce F. W. Brockhaus. 69. Ehlert, The Bible Collector, vol. 9, p. 7.
38 La Bible Darby et son histoire qui ont aidé Darby à la traduction de la version allemande 70 : Carl Brockhaus 71, Julius von Poseck 72, et Hermann Cornelius Voorhoeve 73. Turner ajoute que «d autres ont aussi contribué aux révisions, principalement Rudolf Brockhaus et Emil Dönges 74». Dans une lettre qu il a écrite à Pierre Schlumberger, Darby mentionne la contribution d un «Juif prussien converti 75». Max Weremchuk, de son côté, affirme que, contrairement à von Poseck, Carl Brockhaus ne connaissait pas le grec 76. Dans la même foulée, Weremchuk souligne ce commentaire de von Poseck : «Pendant environ six mois, j ai bien humblement aidé Darby à traduire le Nouveau Testament en allemand, et du coup, j ai été en mesure de constater, jour après jour, la profonde connaissance qu il avait des trésors insondables de la Parole de Dieu 77.» 70. Field, John Nelson Darby: Prophetic Pioneer, p. 168. 71. Quelquefois écrit «Karl». 72. On trouve une lettre rédigée par von Poseck et envoyée à Darby au sujet de la traduction du Nouveau Testament en allemand aux Archives sur le mouvement des Frères à l Université de Manchester (référence GB 133 J. N. D./5/236). 73. Voir aussi Turner, Unknown and Well Known, p. 153. Voorhoeve a également travaillé sur la version néerlandaise de la Bible Darby. Arend Remmers écrit, qu en 1877, Voorhoeve utilisa le texte grec que Darby avait corrigé pour traduire le Nouveau Testament en néerlandais (voir Arend Remmers, Gedenket Eurer Führer: Lebensbilder Einiger Treuer Männer Gottes [Souvenez-vous de vos conducteurs : des exemples de la vie d hommes de Dieu fidèles], trad. libre, Schwelm, Deutschland, Heijkoop Verlag, 1990, p. 168). 74. Turner, Unknown and Well Known, p. 153. Emil Dönges est aussi mentionné par Remmers (Gedenket Eurer Führer, p. 25,61) et par R. A. Huebner (Precious Truths Revived and Defended Through J.N. Darby [Vérités précieuses remises en lumière et défendues à travers J. N. Darby], trad. libre, 3 vol., Morganville, New Jersey, Present Truth Publishers, 1994-2004, vol. 1, p. 219). Il aurait révisé le Nouveau Testament entre 1884 et 1886. Remmers (op. cit.) mentionne aussi un certain D r Alfred Rochat, qui révisa l Ancien Testament après l édition de 1871, aidé de quelques autres (voir aussi Huebner, Precious Truths Revived and Defended Through J. N. Darby, vol. 1, p. 219). R. J. Buss écrit : «La révision du texte de l A. T. par le D r A. Rochat de Stuttgart lui valut l attention de ses pairs. À part quelques corrections de routine du texte, tout le N. T. fut révisé et corrigé par le D r Emil Dönges, d abord à Elberfeld, puis, plus tard, à Darmstadt» (Ehlert, The Bible Collector, vol. 9, p. 8). 75. Le Messager Évangélique, 1899, p. 420. 76. Voir Weremchuk, John Nelson Darby, p. 170. 77. Ibid.
L historique du travail de traduction de Darby 39 Gustav Ischebeck rapporte que cette période de six mois s est déroulée de septembre 1854 à l été 1855 78. Selon Arend Remmers, la connaissance que von Poseck possédait des langues anciennes lui a permis de prendre plusieurs des idées de Darby et de les traduire dans la langue du peuple allemand 79. Pour ce qui concerne la traduction de l Ancien Testament en allemand, Darby «s est fait aider par le néerlandais Hermann Cornelius Voorhoeve, un frère dans la foi qui connaissait l hébreu 80». Weremchuk ajoute que Darby a achevé la traduction de l Ancien Testament en 1871 81. Apparemment, les frères Brockhaus ont été parmi les premiers leaders du mouvement des Frères en Allemagne de l Ouest, et c est à leur demande que Darby est venu dans ce pays pour la première fois en 1854 82. Mais quelle qu ait été leur implication dans le travail de traduction de la Bible Elberfelder, elle semble bien loin du rôle important joué par von Poseck et Voorhoeve. Enfin, Remmers rapporte que le D r Hermann Menge un traducteur de la Bible en allemand a dit que la Bible Elberfelder était la meilleure version allemande produite depuis celle de Luther 83. 78. Ischebeck, John Nelson Darby, son temps et son œuvre, p. 46. 79. Remmers, Gedenket Eurer Führer, p. 118. 80. Weremchuk, John Nelson Darby, p. 170. 81. Ibid. Selon Gustav Ischebeck (John Nelson Darby, son temps et son œuvre, p. 47), c est avec l aide d un Allemand et d un Néerlandais que Darby a traduit l Ancien Testament en allemand entre décembre 1869 et l été 1870. Les collaborateurs allemand et néerlandais étaient respectivement Carl Brockhaus et H. C. Voorhoeve (voir Remmers, Gedenket Eurer Führer, p. 168). Il semble que von Posek fut le premier à travailler sur l Ancient Testament avant d être remplacé par Voorhoeve (ibid., p. 49). 82. William, le frère de Darby, qui vivait à Düsseldorf depuis 1848, fut l un de ceux qui joignit aussi sa voix à cette invitation (voir Ischebeck, John Nelson Darby, son temps et son œuvre, p. 46). 83. Remmers, Gedenket Eurer Führer, p. 25.
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